Commentaire de l’Institut ukrainien et du Conseil de surveillance sur l’article de Timofeï Sergueïtsev « Ce que la Russie devrait faire avec l’Ukraine » du 3 avril 2022 

Le 3 avril, l’agence de propagande d’État russe RIA Novosti, qui fait partie du conglomérat médiatique Russia Today (actuellement sous sanctions de l’UE), a publié sous le nom du consultant politique Timofeï Sergueïtsev un texte programmatique intitulé «Ce que la Russie devrait faire avec l’Ukraine », qui explique le contenu et les composantes de la politique envisagée de « dénazification », l’une des principales revendications de l’agresseur depuis les premiers jours de la guerre à grande échelle. 

Malgré l’apparente marginalité de l’auteur, sa publication dans un média de propagande gouvernementale suggère que le texte doit être considéré comme un document programmatique, comme une justification idéologique des objectifs de la guerre contre l’Ukraine, et comme un plan d’action après la victoire souhaitable mais inatteignable de l’occupant. 

Preuve particulière de l’importance de ce texte, le 5 avril, l’ancien Président, Premier ministre et actuel secrétaire adjoint du Conseil de sécurité nationale et de défense russe Dmitri Medvedev a déclaré sur la même plateforme médiatique que « le président russe Vladimir Poutine a fermement l’objectif de démilitariser et de dénazifier l’Ukraine » et que «depuis 1991, la pseudo-histoire de l’État ukrainien a été écrite “à la va-vite». Ces déclarations, ajoutées à d’autres, correspondent en tout point à l’article de Sergueïtsev, publié le lendemain, et indiquent que l’agresseur n’est prêt à aucun compromis, ni à aucune désescalade. 

Suivant ce texte, la « dénazification » marque un virage idéologique public dans la justification des buts et des méthodes de cette guerre d’agression : substituer à l’idée de « dénazification » par le changement des élites l’idée de « dénazification » comme « solution finale de la question ukrainienne » au sens large. Les idéologues du Kremlin proposent un programme d’élimination physique et culturelle du peuple ukrainien. Le vague terme générique de « dénazification » cache l’intention de commettre un génocide. 

S’agissant de l’élimination physique, le retrait des troupes russes des territoires occupés de la région de Kyiv début avril a rendu évidente la dimension criminelle de cette guerre, lorsque les médias et les réseaux sociaux ont été inondés de photos de civils exécutés, de faits d’enlèvements de fonctionnaires et de journalistes, et autres répressions dans les territoires temporairement occupés. L’article montre que ces exemples de cruauté sont des politiques idéologiquement fondées, et non de simples « excès sur le terrain ». 

Les propagandistes reconnaissent que le peuple ukrainien soutient les autorités dans leur résistance à l’agression russe et tentent donc de justifier une guerre totale contre des civils qui « techniquement ne peuvent pas être punis directement en tant que criminels de guerre ». Pour cela, ils sont prêts à les condamner aux souffrances de la guerre, puis à vingt-cinq ans de « rééducation » dans les conditions d’un régime répressif. 

Cependant, la dimension physique de la « dénazification » est complétée par une dimension culturelle. Le texte assimile ouvertement la « dénazification » à la « désukrainisation » et nie à l’Ukraine et à l’identité ukrainienne le droit d’exister, car ils constituent un obstacle majeur au projet impérial russe. Et c’est dans cette optique que doivent être compris la saisie et la destruction de livres et de manuels ukrainiens dans les bibliothèques, « l’enquête » sur les manuels scolaires ukrainiens par la Commission d’enquête de la Fédération de Russie, le lancement de la diffusion des médias russes, de même que la destruction délibérée de monuments culturels et du patrimoine culturel ukrainien dans les territoires temporairement occupés ou attaqués. Le texte en question suggère une base idéologique pour ces actions : « L’Ukraine, comme l’histoire l’a montré, est impossible en tant qu’État-nation ». Il convient de noter que l’auteur propose d’utiliser l’institution relevant de la « diplomatie culturelle » de la Russie, l’agence fédérale Rossotroudnitchestvo (l’Agence fédérale pour les affaires de la Communauté des États indépendants, les compatriotes vivant à l’étranger et la coopération humanitaire internationale), comme principal outil de répression et outil de « dénazification ». 

Alors que de nouvelles preuves de crimes russes contre l’Ukraine affluent quotidiennement, les arguments de l’auteur selon lesquels ce programme russe de « dénazification » et d’extermination en Ukraine nécessite la capitulation complète des Ukrainiens et l’établissement d’un contrôle total de la Russie sur notre territoire deviennent plus évidents. Sergueïtsev rejette complètement l’idée même de la souveraineté ukrainienne. Tentant d’inscrire un tel programme dans le cadre de la décolonisation anti-occidentale, les idéologues du Kremlin proposent leur plan de recolonisation brutale. 

Contrairement au Holodomor de 1932-1933, où seules de rares preuves recueillies par les journalistes les plus courageux comme Gareth Jones ont atteint le public occidental, aujourd’hui, le monde entier surveille de près ces actes de cruauté. Il est impossible de prétendre ne pas avoir vu ou su ce qui se passe réellement. Les Ukrainiens n’ont d’autre choix que de se défendre. Pour nous, cette guerre est existentielle, une question de vie ou de mort. Le soutien et l’assistance de nos partenaires sont vitaux pour notre avenir.